Précarité résidentielle : faire plus et mieux pour les personnes vivant avec un trouble de santé mentale

Auteur·es :

Jessica Soto, directrice générale de l’organisme Diogène

Marc Lopez, directeur général du Réseau Alternatif et Communautaire des ORganismes (RACOR) en santé
mentale de l’île de Montréal

 

Montréal, 29 novembre 2023

L’itinérance fait l’actualité cet automne et c’est absolument nécessaire pour faire bouger les choses. Mais on parle trop peu de la précarité résidentielle des personnes vivant des enjeux de santé mentale, pourtant particulièrement  vulnérables à l’itinérance. Alors que l’étude détaillée du projet de loi 31 se poursuit à l’Assemblée nationale, nous souhaitons dénoncer d’une seule voix les pratiques malhonnêtes qui poussent ces locataires vers l’éviction, dans le but de tirer plus de revenus des logements qu’ils et elles occupent. Le[VL1]  gouvernement québécois doit
mieux les protéger. 

 La précarité résidentielle a un visage

François* avait la vie devant lui : des rêves, une relation amoureuse, une vie professionnelle, des projets d’études. Puis a surgi un trouble de santé mentale et il a tout perdu. Il s’est mis à sillonner ce qu’il appelle le “circuit de l’itinérance” : manger à l’Accueil Bonneau, dormir dans les refuges. L’ajout de la consommation de drogue dans l’équation l’a désorganisé davantage: « J’entendais des voix menaçantes, et je leur répondais en criant. Ça faisait peur aux gens dans la rue, les refuges ont fini par refuser de me laisser passer la nuit. C’est comme ça que je me suis retrouvé à dormir sous un pont. »  Selon lui, c’est lorsqu’il a réussi à obtenir des services spécialisés en santé mentale et itinérance (équipe PRISM et Diogène) que sa situation s’est mise à changer : « Eux m’ont soigné et aidé à me stabiliser au niveau de ma santé mentale, puis à me trouver un logement et à le maintenir. Je vais beaucoup mieux maintenant ». Obtenu avant l’actuelle crise du logement, son appartement à 875$ par mois lui a permis de se reconstruire. Mais en octobre, tous ses efforts ont failli s’écrouler.

Éviction : exploiter la vulnérabilité des locataires

Comme une dizaine de personnes de cet immeuble qui sont suivies par l’organisme Diogène, François a reçu la
visite de son propriétaire il y a quelques semaines. Des rénovations étaient apparemment nécessaires: s’il acceptait de partir le 1er janvier, son loyer et ses frais de
déménagement seraient couverts. Une somme importante pour ceux et celles qui vivent sous le seuil de la pauvreté[1]  

Les locataires avaient seulement 24 heures pour réfléchir à cette offre: un délai très court – trop court – pour s’informer sur leurs droits. François a perdu pied. Devant la pression, la détresse a repris le dessus. Heureusement, Diogène a été en mesure de lui parler à temps pour l’empêcher de signer et d’être évincé. Il faudra maintenant l’aider à défendre son droit au logement par des moyens légaux, peu accessibles pour la grande majorité.

 

D’autres, peut-être par nécessité ou parce qu’ils ou elles ignoraient combien coûte aujourd’hui un logement sur
le marché locatif, ont signé. Bientôt, ces personnes vivant avec un trouble de santé mentale grave se retrouveront à nouveau à risque élevé d’itinérance. Il faut non seulement condamner ces pratiques préjudiciables, mais également les proscrire.

Un problème répandu

Dans sa très récente 8ème édition du Dossier noir logement et pauvreté au Québec, le FRAPRU rappelle que le nombre d’évictions forcées de locataires s’accroit à un rythme inquiétant. Il cite les statistiques du Tribunal administratif du logement montrant que le nombre de
plaintes introduites ou relancées pour des reprises de logements a augmenté de 71 % entre 2020 et 2022. Dans le plus récent dénombrement québécois des personnes en situation d’itinérance visible, on a pu constater que  les expulsions représentent maintenant la principale raison qu’elles évoquent pour la perte de leur dernier logement (23 %).

Il faut des investissements massifs et récurrents dans les
logements sociaux et abordables

Pour veiller à la sécurité résidentielle des personnes comme François, nous appuyons les solutions recommandées par le FRAPRU. Selon nous, le gouvernement du Québec doit adopter une politique globale en habitation, basée sur la reconnaissance du droit au logement, le développement et la protection du  logement social ainsi que de meilleures protections des locataires.

Il doit urgemment financer adéquatement un programme pérenne et spécifiquement dédié au logements sociaux
et abordables, permettant de développer tant des coopératives, des OSBL d’habitation, des habitations à loyer modique (HLM) et des logements à faible coût en nombre suffisant pour répondre aux besoins les plus urgents. Les personnes dans la rue ne peuvent pas attendre. Le coût de la vie continue d’augmenter, et chaque année, l’hiver est inéluctable. Nos attentes sont
grandes envers le prochain budget et le plan d’action gouvernemental en habitation promis d’ici la fin de l’année : nous demandons un vrai grand chantier de logement abordable, sans oublier de soutenir financièrement les
organismes communautaires qui épaulent les plus vulnérables.

*Le prénom du locataire a été modifié pour préserver
son anonymat et lui éviter des représailles.

 

RENSEIGNEMENTS

Contact média

Tania Leduc,
conseillère aux communications pour Diogène et le RACOR, 

communications@racorsm.org,

 


[1] Selon le Dossier noir logement et pauvreté 2023 du FRAPRU, le revenu de base d’une personne seule prestataire de l’aide sociale atteint quant à lui 14 532 $, si elle a des contraintes sévères à l’emploi comme un trouble de santé mentale grave.

À PROPOS DE DIOGÈNE ET DU RACOR

Diogène a pour mission d’accompagner et de soutenir des adultes ayant des problèmes de santé mentale sévères et persistants et vivant une situation d’itinérance et/ou des problèmes de judiciarisation, dans le but d’atténuer leur détresse psychosociale et de favoriser leur autonomie. Nos services sont régionaux et couvrent l’ensemble du territoire de Montréal. Malgré la pénurie de logements à Montréal, son service Toit d’abord a accompagné 216 personnes parmi les plus marginalisées depuis sa création en 2015. De ce nombre, 204 ont été logées et le sont encore, pour un taux de réussite de plus de 90%.

Le Réseau Alternatif et Communautaire des ORganismes (RACOR) en santé mentale de l’île de Montréal a pour mission de regrouper, soutenir, outiller et représenter les organismes communautaires et alternatifs de l’Île de Montréal œuvrant en santé mentale. Ce réseau regroupant près de 100 organismes en santé mentale a pour but de faire reconnaître la compétence unique du communautaire alternatif en santé mentale ainsi que le caractère innovateur et indispensable des services offerts à la population vivant des problèmes de santé mentale. Le RACOR en santé mentale a également comme objectifs de sensibiliser et d’informer les instances gouvernementales et le grand public pour une meilleure compréhension des réalités des personnes vivant avec des enjeux de santé mentale.